Jalil Lespert réussit son pari de porter à l’écran la vie d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé. Un film éblouissant porté par Pierre Niney et Guillaume Gallienne au sommet de leur art.

yves st laurentPierre Niney interprète Yves Saint Laurent, il en transmet la timidité, la fragilité, mais aussi la détermination farouche. – Photo SND

L’aventure d’« Yves Saint Laurent », le film, a commencé par un coup de foudre entre Jalil Lespert, trente-sept ans, acteur (« Ressources humaines », de Laurent Cantet), réalisateur (« Vents contraires », tiré du roman d’Olivier Adam) et Pierre Bergé, dont on connaît le caractère entier. Le soutien de ce dernier fut sans faille, même s’il a, paraît-il, un peu tiqué en apprenant que son rôle serait tenu par Guillaume Gallienne. Sa discrétion sur le tournage fut, d’après le réalisateur, exemplaire, Pierre Bergé n’ayant assisté qu’à une scène, décisive, celle de la présentation de la collection des « Ballets russes » où la voix de la Callas dans le grand air de « La Wally » qui accompagnait le défilé de 1976, l’émut profondément.

L’accord de celui qui partagea la vie d’Yves Saint Laurent et dirigea d’une main de fer la petite entreprise artisanale dissidente devenue empire mondialisé était d’autant plus important qu’un projet concurrent était lancé avec Bertrand Bonnello à la réalisation et Gaspard Ulliel et Jérémie Rénier dans les deux rôles principaux (le film sortira le 14 mai, jour de l’ouverture du Festival de Cannes, où il pourrait être présenté).

« Yves Saint Laurent » est tout sauf une hagiographie et c’est ce qui en fait l’intérêt. Jalil Lespert brosse le portrait sans complaisance d’un créateur de génie hanté par ses démons. Très vite, on le sait, les médecins diagnostiquèrent un état maniaco-dépressif. De lui, Pierre Bergé disait qu’il n’était heureux que deux fois par an, au printemps et à l’automne. Sa fragilité, sa candeur étaient contrebalancées par une détermination farouche, un engagement total dans son art qui le détruisait de l’intérieur tout en étant le moteur de la création.

Entre deux pôles

C’est entre ces deux pôles que navigue Pierre Niney, qui s’est emparé du personnage avec lequel il a vécu des mois durant au point d’en être obsédé. Il transmet la timidité, les hésitations de la voix, la gaucherie des attitudes, les moments d’abattement ou d’euphorie comme les éclats de colère aussi soudains qu’impressionnants.

Un portrait convaincant

Guillaume Gallienne campe un Pierre Bergé hanté par le caractère autodestructeur de son amant, qui peut plonger dans la drogue et l’alcool, multipliant provocations et infidélités. Sans chercher à imiter son modèle, Guillaume Gallienne en brosse un portrait convaincant, à la fois ferme, discret, jaloux parfois, manipulateur ou brutal à l’occasion. Toujours présent, il pare à la catastrophe, comme un barreur expérimenté dans la tempête. S’il règle le ballet, il n’oublie pas, comme le dira une couturière, que « M. Bergé n’a jamais marché devant M. Saint Laurent ».

La prestation de nos deux pépites de la Comédie-Française est rehaussée par le charme et l’entrain des filles de la bande, Charlotte Le Bon (Victoire Doutreleau), Laura Smet (Loulou de la Falaise), Marie de Villepin (Betty Catroux), les trois muses du couturier. On appréciera aussi la beauté des modèles originaux prêtés exceptionnellement par la Fondation Yves Saint Laurent, si fragiles que les mannequins (choisis pour leur morphologie respectant les canons de la haute couture des années 1960 – taille 34 ou 36), ne pouvaient les porter trop longtemps afin de ne pas les marquer de sueur. Les décors – la villa et les jardins Majorelle à Marrakech, l’Hôtel Intercontinental de la rue de Rivoli où se tenaient les défilés, le studio parisien où il a travaillé à partir de 1974 – sont somptueux. Et la musique originale très jazzy, du jeune trompettiste Ibrahim Maalouf épaulé par un combo international haut de gamme, brillante.

T. G. pour les Echos

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