Lors du dernier article, nous expliquions que le transfert, loin d’être un mot barbare réservé à la psychanalyse, d’une part s’avère assez facilement explicable, et d’autre part s’immisce dans maintes situations. L’une d’entre elles, mentionnions-nous encore, est la névrose d’échec. C’est à cette manifestation que nous consacrerons notre article.

Tout d’abord et comme il convient de le faire en abordant une notion délicate, passons l’étape de la définition. Aussi, qu’est-ce qu’une névrose ? C’est une affection psychique touchant l’être dans son ensemble, puissamment agissante, extrêmement pénalisante, et qui touche aux comportements, aux sentiments, aux idées, parfois même à la mémoire de l’individu.

Il existe plusieurs catégories de névroses. En particulier, la névrose d’échec consiste globalement à reproduire, seul ou devant témoins, des schémas susceptible d’engendrer l’échec. Le sujet qui développe un tel trouble a pour objectif[1] de provoquer sa propre mise en défaut, de s’empêcher  d’être littéralement, car à ses yeux il est légitime qu’il en soit ainsi. Et malgré la souffrance que ces stratégies auto-destructrices ne manquent pas d’entraîner, le phénomène se répète, rappelant un automate dont le comportement finit par ne plus surprendre tant il est devenu prévisible.

Après avoir écrit tout cela, il y a quand même lieu de se demander s’il est possible de guérir une névrose d’échec !

À en croire le titre de l’article, la réponse est affirmative… Pour sortir d’une névrose d’échec, ce que l’on nomme le dialogue thérapeutique est d’une redoutable efficacité. Il s’agit d’abord d’un dialogue, bien sûr. Une conversation libre entre deux locuteurs, le patient et son analyste, lequel dialogue alterne des échanges, des monologues et d’indispensables silences. On s’exclame, on s’étonne, on s’intéresse, on apprend, on raconte, on voyage dans les souvenirs passés, on se projette dans les désirs d’avenir.

Lors de ce dialogue, le patient se livre, bien plus qu’il ne le pense[2]. Car plus que les mots (le signifiant), c’est leur cohérence, leur enchaînement, leur corrélation avec tel affect, tel vécu ou même telle manifestation physique survenant pendant la séance (le signifié), que l’analyste cherche à repérer. En fait, qu’il le veuille ou non, le patient projette sa réflexion, sa vie, son être sur son analyste. Il l’associe même à ses élaborations psychiques, à l’expression de son problème et aux angoisses qui l’accompagnent.

Pour reprendre un mot-clé de l’article précédent, le patient opère tout simplement un transfert sur son analyste.

Que le lecteur nous permette une courte parenthèse, pour répondre à une question qui nous a déjà été posée concernant le type de prise en charge que nous proposons. Contrairement à ce que le nom pourrait laisser entendre, TorahCoach est loin de se réduire à du coaching. Nous nous inscrivons résolument dans ce processus d’échange tantôt informel, tantôt orienté et qui, parce qu’il relève justement du dialogue thérapeutique, vise à engendrer un mieux-être, à guérir tout bonnement.

Refermons la parenthèse, non sans nous demander : précisément, comment parvient-on à cette guérison tant convoitée ?

Le transfert du patient sur son thérapeute tient ici un rôle fondamental. Étant en principe familier du processus de transfert, le thérapeute sait qu’il ne doit pas seulement analyser ce que son patient exprime, mais aussi ce que lui-même reçoit de son patient[3].

Lors d’une thérapie visant à guérir une névrose d’échec, le thérapeute ressentira de façon extrêmement palpable la détresse de son patient. Ses propres échecs, le patient pourra d’ailleurs aller jusqu’à les mettre en scène devant son thérapeute, plus ou moins inconsciemment, ne se contentant donc plus de les lui raconter.

Voilà qui est absolument décisif, car le thérapeute pourra alors éventuellement repérer la manière dont le patient « l’utilise »[4] pour alimenter, auto-justifier sa névrose d’échec. L’exemple classique est l’annulation des rendez-vous au dernier moment, alors que l’analyse parvient à un stade où un voile s’apprête à être levé sur un mécanisme capital de la névrose. Et ceci est tout, sauf une coïncidence.

Bien entendu, un tel renoncement est paradoxalement révélateur d’une volonté de guérir. En transférant sa mise en échec sur son thérapeute, le patient lui lance en fait un appel à l’aide, peut-être imperceptible pour l’un, mais limpide pour l’autre.

Au bout d’un travail d’analyse parfois long, mais toujours profondément enrichissant[5], le processus névrotique devient de moins en moins inconscient. Tel est souvent le but d’une cure : aider le patient à réaliser pleinement le mal dont il souffrait de façon pleinement mesurable, sans toutefois parvenir à l’expliquer, à l’exprimer.

« Un travail d’analyse parfois long », écrivons-nous.

Par nature, une névrose évolue dans les limbes de l’inconscient, cachée, ancrée, assumée de surcroît par le sujet qui la développe. Comment ne pas comprendre qu’il faille du temps pour qu’elle se détache du fond et remonte à la surface, affrontant au passage les courants s’opposant à sa progression vers la surface[6] ?

En l’occurrence, faire remonter la névrose à la surface, signifie pour le patient accéder à un champ de connaissance clair et rationnel. Une clarté d’esprit qui prépare à un divorce nécessaire[7] entre l’être en souffrance et sa souffrance.

Dans le même temps, nous comprenons combien il est dommage que le thérapeute livre hâtivement à son patient les clés de la guérison… pour peu qu’il les ait trouvées. Car ces clés, soyons-en persuadés, auront toutes les chances d’ouvrir les portes qu’elles promettent, seulement une fois le mal démasqué par le patient lui-même, à la merci de sa conscience.

Pour le thérapeute, révéler la réponse à une question dont certains aspects, parfois essentiels, échappent alors à la compréhension de son patient, n’est-ce pas faire perdre à tous les deux et la question, et la réponse ?

Ceci, le patient doit le savoir et l’accepter. Son désir d’aller mieux est bien compréhensible, mais pour que la guérison survienne, complète, il faut la préparer minutieusement, la construire pour tout dire. Comme nous aimons à le dire à nos propres patients, l’objectif d’une analyse est la reconquête de sa propre personne. C’est tout un terrain complexe et vivant qu’il convient d’assainir. C’est de l’humain ! Et l’être humain étant ce qu’il est, un mouvement intime global qui touche jusqu’à ses représentations les plus archaïques, ne peut apparaître en un clin d’œil.

Le jeu de mots est facile : le patient doit accepter d’être patient. Non pas une patience fataliste, juste bonne à déguiser l’inefficacité d’un procédé thérapeutique voué à l’échec, mais une patience raisonnée, assumée par l’individu convaincu d’avancer sur le bon chemin, serait-il long, serait-il rude.

Au bout du chemin, surviennent enfin les premiers signes de guérison. D’abord timides, ils sont identifiés par le patient comme étant des fragments de volonté jaillis d’on ne sait où, presque fortuitement. Pour lui, c’est un immense soulagement. Voici qu’il ne supporte plus ces logiques d’échec coutumières. Bien plus, il se sent, se sait capable de s’opposer à ce qui le menace, au lieu d’abdiquer systématiquement comme tel était son lot quotidien jusqu’à aujourd’hui.

Parvenu à ce stade, le patient perçoit le bout du tunnel. Rassuré, tellement plus fort, il apprendra ensuite avec le soutien de son thérapeute à apprivoiser ces velléités d’existence encore neuves. À élaborer des stratégies de défense contre sa névrose déjà affaiblie, puis des stratégies gagnantes dans la vie. En réalité, les deux aspects se conjuguent, conformément au verset : « Éloigne-toi du mal et fais le bien »[8] qui laisse entendre l’importante de la simultanéité dans le rejet du négatif et le développement du positif.

David Benkoël
Analyste, je partage mon intérêt pour la construction de soi. J’aide par ailleurs des personnes en souffrance à se reconstruire.
david@torahcoach.fr
Notes

[1]  Inconscient, cela va de soi. Et quand bien même la manifestation serait consciente, sa source, sa justification se niche dans les strates inconscientes.

[2]  D’où l’importance d’établir un lien de confiance avant de débuter la thérapie à proprement parler.

[3]  Intellectuellement et émotionnellement.

[4]  Au sens où il l’y associe.

[5]  Pour le sujet comme pour son analyste !

[6]  Nous parlons des résistances psychiques, qui résultent d’un combat entre la partie de l’être qui veut guérir et expulser sa névrose, et la partie de l’être qui tient, non pas à souffrir au sens propre, mais à entretenir cette névrose qui, d’une certaine manière, est légitime.

[7]  Et tellement heureux, celui-ci !

[8]  Tehilim 34,15.