Depuis le 7 octobre 2023, Israël est plongé dans un conflit qui a laissé un lourd tribut en vies humaines, avec un nombre conséquent de soldats tombés au combat, plongeant ainsi des familles entières dans une profonde douleur.

Ceux qui en souffrent particulièrement sont les jeunes mariées, dont l’élan de bonheur conjugal a été brisé par le départ au front de leur époux. L’absence de ces soldats crée un vide d’autant plus poignant chez celles qui n’ont pas eu l’opportunité de fonder une famille avant le déploiement militaire.

Face à cette réalité, Israël a mis en place une solution encadrée par la loi pour soutenir les familles touchées par ces tragédies.

Afin de mieux comprendre les aspects juridiques et humains de cette situation délicate, j’ai eu le privilège d’interroger Maître LIANE KEHAT,  qui a accepté de partager son expertise et son point de vue éclairé sur ces questions cruciales.

Claudine Douillet : Pourriez-vous expliquer en quoi consiste le processus de prélèvement du sperme post-mortem et comment il est actuellement réglementé en Israël ?

Liane Kehat : D’un point de vue légal, le processus commence par une demande auprès du tribunal – l’accord du juge devant être donné dans un délai de 24 heures pour que l’on puisse prélever le sperme dans les 24 – 36 heures à compter du décès.

À l’heure actuelle, compte tenu du nombre de soldats tombés au combat et des multiples demandes de prélèvement de sperme post-mortem, la Procureure générale a récemment décidé d’accélérer la procédure en émettant une ordonnance sans précédent.

Cette ordonnance permet de prélever le sperme sans attendre l’accord préalable du juge et uniquement en ayant reçu l’accord des membres de la famille. Ces derniers doivent signer un formulaire en vertu duquel ils déclarent ne pas avoir connaissance de l’existence d’une opposition du défunt et de ses proches à cette procédure.

Claudine Douillet : Dans quelle mesure le consentement du soldat décédé est-il pris en compte, et existe-t-il des directives spécifiques concernant le prélèvement du sperme dans les volontés de ces soldats ?

Liane Kehat : La question du prélèvement et de l’utilisation du sperme du défunt soldat n’est pas réglementée par la loi, mais par une directive du Procureur général datant de 2003.

Cette directive stipule que seule la conjointe du défunt peut demander de recevoir de la part du tribunal l’autorisation d’utiliser le sperme de son défunt compagnon, et ce, en prenant en considération le désir du défunt d’avoir des enfants ou non, en particulier après son décès, en fonction des circonstances de chaque cas et des témoignages des proches du défunt.

Il ressort également de la directive que les parents du défunt n’ont aucun droit, ni statut
juridique concernant l’utilisation du sperme de leur fils après son décès.

Dans la mesure où il n’existe pas de loi sur la question, la décision est soumise au pouvoir
discrétionnaire des juges. Ces juges examinent la volonté de la famille, le droit de la
personne sur son corps et essaient d’évaluer la volonté du défunt.
À ce stade, la famille doit prouver que le défunt voulait des enfants.

CD : Comment est assurée la confidentialité et la sécurité des échantillons ? (Cf à la maman qui a été inséminée par un ovule et un sperme n’appartenant ni à elle ni à son mari)

LK : Aujourd’hui la plupart des femmes qui reçoivent un don de sperme ne connaissent pas
l’identité de leur donneur. Or, dans le cas d’un prélèvement post-mortem et d’une
utilisation post-mortem à la demande de la famille du défunt, la femme receveuse a des
données concernant le défunt. Le nouveau-né aura également une famille du côté du
père, ce qui consiste en un soutien émotionnel et financier.

CD : Comment le processus prend-il en compte les droits et les souhaits des familles et des partenaires des soldats décédés  et quels sont les critères pour autoriser ou refuser une demande d’insémination post- mortem ?

LK : Le droit israélien s’attache à vérifier quelle était la volonté supposée du défunt.
Voulait-il avoir des enfants ou non ? Dans le cas d’un défunt décédé d’un cancer et ayant
congelé son sperme, il va de soi qu’il souhaitait utiliser son sperme.

Cependant, le fait pour lui d’avoir congelé son sperme n’implique pas automatiquement la volonté d’une utilisation post-mortem mais peut-être d’une utilisation après sa guérison.

Un conflit peut donc naître entre la volonté de la famille du défunt et l’absence d’instructions spécifiques laissées par le défunt quant à l’utilisation post-mortem de son sperme.

CD : Comment la société israélienne réagit-elle généralement à l’intégration de ces enfants dans la communauté ?

LK : Beaucoup s’opposent à l’utilisation du sperme d’un défunt par crainte que l’enfant ne
devienne un « monument commémoratif ». En revanche, dans un monde où la monoparentalité est acceptée, il peut en réalité y avoir un avantage entre une parentalité post-mortem où le don de sperme n’est pas anonyme – avantages sur le plan psychologique, jouissance d’une famille élargie et autres avantages.

Selon moi, si des enfants n’ayant pas de père (famille monoparentale, etc.) arrivent à
s’intégrer et à être intégrés, il n’y a pas de raison à ce que des enfants issus d’un don de
sperme post-mortem ne s’intègrent pas ou ne soient pas intégrés.

De plus, de nos jours, il existe de plus en plus de mères solos. Aussi, dans ce cas précis, l’enfant est né via un don de sperme post-mortem d’un soldat tombé au combat, on connaît donc l’identité du père. Cet enfant pourra être fier de son père qui a donné sa vie pour défendre l’État d’Israël.

La question du bien-être de l’enfant orphelin de naissance n’a pas été débattue de façon
approfondie dans la jurisprudence et dans la directive du Procureur général.

Les grands-parents désirant un petit-enfant issu du sperme de leur fils décédé sont parfois confus.

Il est difficile, dans un cas si tragique, de distinguer la réelle volonté du soldat défunt de
celle de ses parents endeuillés. C’est particulièrement le cas quand le soldat est décédé
très jeune. Le défunt soldat a-t-il vraiment envisagé, de son vivant, la possibilité
d’utilisation de son sperme après son décès ?

 CD : À quel moment et comment les enfants issus de ce processus sont-ils informés de la nature particulière de leur conception ?

LK : Il n’y a pas de directives et chaque famille informe l’enfant au moment qui lui paraît
le plus juste.

Informations sur le sujet : 

D’après les médias, le ministère de la Santé a récemment établi un centre où sont
reçues toute les demandes de prélèvement de sperme post-mortem.
Il envoie, ensuite, les demandeurs dans les hôpitaux respectifs (Beilinson, Sheba, Ichilov, Assaf Harofeh). Dans chacun de ces hôpitaux, il existe un centre qui s’occupe en urgence des demandes 24h/24.

D’après les médias Tsahal (IDF) a également commencé à s’occuper de ce type de demandes. Lorsque Tsahal (IDF) vient annoncer aux proches le décès du soldat tombé au combat, le représentant de l’armée explique à la famille la possibilité de prélever le sperme et toutes les informations lui sont communiquées.

Les médecins chargés du département fertilité des principaux hôpitaux israéliens constatent une récente et importante augmentation des demandes de prélèvement de sperme de la part d’hommes mariés, avant d’aller à la guerre. Ils font donc cette demande, de leur vivant et à titre préventif, dans le cas où ils décéderaient.

Bien sûr, des soldats non mariés ou célibataires font également cette demande. Cependant, comme précisé ci-dessus, il s’agit, la plupart du temps, d’hommes mariés ou qui ont déjà une famille. Le protocole consiste en la signature d’un document en vertu duquel ils expriment leur volonté que leur sperme soit utilisé dans le cas où ils viendraient à décéder dans le cadre de leur service militaire.

Il faut préciser qu’il existe un projet de loi sur le prélèvement post-mortem datant
de 2022 (donc avant la guerre du 7.10.23).

Propos recueillis par Claudine Douillet  pour Alliancefr