Dans la première partie de cet article nous citions un verset dont le sens, à l’instar de n’importe quel verset de la Torah, ne se réduit pas à la sémantique d’une suite de mots. Un verset, c’est plutôt un monde en soi. Un monde de sens. Aussi, pour avoir la chance de comprendre, au moins un petit peu, pourquoi D.ieu dit à la femme : « Vers l’homme sera ton désir, et lui te dominera »[1], il va nous falloir dépasser la sémantique, au risque que celle-ci ne nous conduise… au non-sens.

Justement, bien des romances ont dressé, fort maladroitement d’ailleurs, ce portrait de la femme ayant les yeux rivés sur l’homme dont elle est éprise. La femme a été représentée comme une personne un peu sotte, soumise à sa volonté, buvant ses paroles avec délice sans poser de questions, prête à le suivre au bout du monde s’il le fallait, prête à l’attendre si lui partait au bout du monde le temps qu’il faudrait. Comme si, sans lui, elle ne pouvait ni penser, ni agir, ni même parler. Une caricature tout de même avilissante, convenons-en.

En enseignant « Vers l’homme sera ton désir », la Torah n’exprime pas une dépendance absolue de la femme vis-à-vis de l’homme. Prétendre cela serait extrapoler au mépris de la raison. Ce que la Torah exprime, c’est en fait une certaine attente. Et cette attente, à lire le verset, est donc de l’ordre du désir.

Aussi, posons-nous la question : qu’est-ce que le désir ? Nous pourrions par exemple le définir comme étant l’aspiration à une union entre soi et quelque chose (ou quelqu’un) d’extérieur à soi. Le désir, c’est l’expression d’une volonté personnelle de se lier au monde. En fait, le désir est le prélude à la vie, puisque la vie repose sur le lien[2].

« Vers l’homme sera ton désir », cela veut donc dire que le mari doit être capable de livrer à sa femme une grille de lecture du monde, rassurante, plausible et positive s’entend, pour la simple et bonne raison que la femme attend cela de lui sans avoir besoin de le lui dire.

Donc oui, l’épouse a les yeux rivés vers son mari, mais pas pour l’admirer béatement. Dans son regard, il y a plutôt un sentiment de l’ordre de l’attente, de l’espoir aussi. Elle attend de lui qu’il lui raconte la vie et, par la façon dont il personnalise leur idéal commun, de la façon dont il l’oriente ou bien encore le renouvelle également, la prend un sens. Non que la femme ne comprendrait rien à la vie sans l’homme ; ce que nous voulons dire, c’est que la femme a besoin que l’homme lui prouve qu’il sait trouver la force de donner un sens à la vie, à leur vie. Notamment dans des circonstances propres à engendrer la perte de sens. « Que devrions-nous faire dans telle situation ? », « Comment crois-tu que nous devrions négocier telle autre ?  », « Quelles solutions à ce problème ? », « Peux-tu me dire l’angle sous lequel nous devrions aborder ce projet ? ». Ce sont quelques questions dont la femme abreuve son mari en silence[3].

Quand le mari répond présent à ces appels discrets, quand il rassure sa femme par le simple fait de jouer son rôle d’homme fort[4], celle-ci est confiante dans la vie, car elle est confiante en lui. Elle est rassurée d’avoir un homme à ses côtés, un homme c’est-à-dire essentiellement un être capable de donner une structure à ses rêves sans les dénaturer pour autant. Pour les sublimer, pour les rendre possibles enfin. « Lui te dominera ». Non pour t’écraser ou pour t’utiliser. Pour te guider avec bienveillance et lucidité.

Par contre, quand l’homme n’assume plus ce rôle tacite, quand il cessant de montrer à sa femme le sens de la vie qu’elle a besoin d’écouter de sa bouche, de percevoir dans ses gestes, le couple se met à douter. Il s’essouffle, il s’effondre. Il n’y a plus de sens, de direction, d’avenir. Il n’y a en fait plus d’espoir. Les problèmes de couple ne sont parfois rien d’autre qu’un problème de sens.

Il nous revient une anecdote. Un ami et son épouse avaient été invités chez un certain Rav, à l’occasion d’un Chabbath. À la fin du repas, alors qu’ils prenaient congé, l’épouse s’engagea la première dans les escalier. Avec un sourire, la Rabbanith lui fit remarquer : « Chez nous, ce sont les hommes d’abord ! ». Au fond, elle disait vrai. Toute épouse tient à ce que son mari passe devant elle. Ce qui empêche les femmes en général de souscrire à ce principe, ce qui suscite même leur opposition, c’est une condition préalable trop souvent délaissée, donnant à cet ordre naturel des airs de catastrophe.

Il s’agit tout bonnement pour l’homme de veiller à ne pas utiliser sa place potentiellement dominante pour faire du tort à sa femme en l’étouffant, en la rabaissant, en la blessant de quelque manière que ce soit. Bien loin de l’invitation à la femme-objet, relation davantage apparentée à la destruction qu’à l’union, la quête de sens que l’homme entreprend en vue d’en faire profiter sa femme vise la plénitude. Pour peu que l’homme sache montrer à sa femme la direction et lui donne envie de croire en lui, en eux, en demain.

Notes

[1]  Berechith 3,16.

[2]  Tout comme à l’opposé la mort repose sur la rupture du lien.

[3]  Quand elles sont verbalisées, il est déjà un peu tard : les voici teintées de déception, de reproche ou d’angoisse.

[4]  Car voici bien le summum de la virilité.

Analyste, je partage mon intérêt pour la construction de soi. J’aide par ailleurs des personnes en souffrance à se reconstruire.
david@torahcoach.fr