Après cinquante ans de service, le célébrissime agent secret n’a pas pris une ride. Sa 23ème aventure, «Skyfall», a déjà rapporté plus de 600 millions d’euros et pourrait s’avérer encore plus rentable que les précédentes. C’est dire…

Un décor fantastique, des femmes splendides… c’est la soirée de l’année !» Jérôme Philipon, P-DG des champagnes Bollinger, se délectait à l’avance de la première mondiale de «Skyfall», le nouveau James Bond, qui s’est tenue le 23 octobre à Londres. La raison de sa présence ? La maison française est le fournisseur officiel du film, où ses bouteilles font une furtive apparition. En échange, elle a eu l’immense honneur de servir des flots de champagne aux 2 000 invités qui, après la projection au prestigieux Royal Albert Hall, ont festoyé jusqu’à l’aube au bord de la Tamise. Inutile de dire que le prince Charles et Camilla étaient présents pour honorer le célèbre espion de Sa Majesté…

Happy birthday, 007 ! Voilà déjà cinquante ans que le plus stylé des agents secrets est apparu à l’écran sous les traits de Sean Connery dans «James Bond contre Dr. No». Personne ne se doutait alors que cette sympathique série B («Skyfall» en est le vingt-troisième épisode) allait devenir le plus gros succès de l’histoire du cinéma. Rapportées en euros d’aujourd’hui, ses recettes en salle, cumulées depuis un demi-siècle, frôlent les 10 milliards, contre à peine 6,7 pour «Star Wars», le numé
ro 2 du box-office. Si l’on ajoute à cela les droits télé, les ventes de DVD (certains opus se seraient arrachés à plus de 15 millions d’exemplaires), les 35 millions de jeux vidéo écoulés sur toute la planète et la foule de produits dérivés (jeux de cartes, sodas, montres, cosmétiques, etc.) siglés JB, le beau James peut se vanter d’avoir généré une cash-machine à faire baver d’envie même l’ignoble Goldfinger.

2.000 bouteilles de champagne pour la première

Et pourtant, il aurait pu maintes fois partir en quenouille. Un espion à cheveux blancs et lunettes double foyer étant peu crédible dans un rôle de séducteur casse-cou, les producteurs ont été en effet contraints de changer de comédien à cinq reprises. A chaque fois, le public et les critiques ont toussé, y compris pour Daniel Craig, l’actuel titulaire du rôle. L’usure du personnage central, tout droit sorti de la guerre froide, aurait aussi pu faire vaciller le mythe, de même que l’émergence d’agents concurrents autrement plus modernes, comme Jason Bourne ou Jack Bauer (initiales JB dans les deux cas !). Mais le roi des espions a tenu le choc. «Comme dans leurs films, les producteurs ont réussi à triompher de multiples embûches pour échapper à une mort certaine», résume, amusé, Stevan Riley, qui vient de réaliser un documentaire sur la saga culte.

C’est à 500 mètres à peine de Buckingham Palace, dans le quartier ultrachic de Mayfair, qu’est situé le cœur de l’empire bondien. De l’extérieur, les bureaux discrets d’EON Productions (pour «Everything or nothing», tout ou rien) ne paient guère de mine. Cette société a été fondée par l’Américain Albert Broccoli et le Canadien Harry Saltzman, deux producteurs venus tenter leur chance à Londres dans les années 1950. En juin 1961, ces petits malins récupèrent pour 50 000 dollars, somme énorme à l’époque, les droits d’adaptation cinématographique de leur futur héros, le déjà très populaire agent du MI6 créé par l’écrivain Ian Fleming. Depuis, Saltzman a revendu la moitié de ses parts à United Artists, mais Broccoli est resté fermement à la barre jusqu’à sa disparition, en 1996. Si bien que la boutique est désormais tenue par sa fille, Barbara (52 ans), et par le fils aîné de sa seconde épouse, Michael Wilson (70 ans). Les deux boss, qui ont monté les six derniers épisodes, sont très discrets sur leur fortune. Mais les derniers bilans d’EON Productions révèlent qu’ils se versent, selon les années, entre 2 et 4 millions d’euros de dividendes. Et ils touchent sans doute un beau pactole de Danjaq, leur autre société, qui gère les droits sur les produits dérivés, les jeux vidéo et les diffusions télé (mais ne publie malheureusement pas ses comptes).

Bond assure un tiers des droits télé de la MGM

Pas fous, Broccoli et Wilson ont conservé la technique de financement ultra-efficace mise au point par leurs aînés : plutôt que de prendre eux-mêmes le risque, ils laissent le soin à telle ou telle major hollywoodienne d’avancer l’argent du prochain film, puis en partagent avec elle les recettes. Ou plutôt avec elles, car, le budget des Bond ayant littéralement explosé, EON est aujourd’hui contraint de mettre plusieurs producteurs sur le coup. «Skyfall», le film le plus cher de la série (192 millions d’euros), est ainsi conjointement porté par Sony Pictures, par la Fox, qui gère la distribution des DVD, et par la MGM, maison mère de United Artists. Cette dernière est d’ailleurs un peu chez elle au pays des voitures sous-marines et des réacteurs dorsaux, puisqu’elle est copropriétaire des droits de la série – à eux seuls, ils génèrent encore près de 30% des revenus de son catalogue ! Cela ne l’a pas empêchée de frôler la faillite en 2010, ce qui a repoussé d’un 
an le tournage de «Skyfall»…

S’ils laissent aux Américains le soin de payer, Broccoli et Wilson veillent en revanche jalousement sur le volet «artistique». «Vous n’imaginez pas à quel point ils sont perfectionnistes», témoigne Neil McConnon, commissaire de l’exposition londonienne «Designing 007», qui présente l’extraordinaire collection de gadgets conservée par EON depuis cinquante ans. «Ils se veulent les garants de l’esprit de la série.» De fait, le duo continue d’appliquer à la lettre la recette de «Goldfinger», la référence absolue selon les experts. Chaque opus offre une entrée en matière ultraspectaculaire, un générique rythmé par l’inévitable «James Bond Theme», trois grandes scènes d’action. Quant au scénario, c’est en gros toujours le même, JB est prié de sauver le monde menacé par un personnage infâme aux visées diaboliques et il y parvient avec une élégance très britannique. En croisant toujours au passage trois girls craquantes (une méchante et deux gentilles), dont deux (la méchante et l’une des gentilles) passent impérativement de vie à trépas. Pour ficeler tout ça, EON a recours à la même équipe de scénaristes depuis plus de quinze ans. «C’est incroyable, ils arrivent encore à dénicher des scènes inédites dans les romans de Ian Fleming», admire l’historien Vincent Chenille, coauteur de «James Bond, figure mythique» (Editions Autrement).

Décidément très conservateurs, les chevaliers d’EON restent aussi fidèles au studio londonien Pinewood, tout dévoué à leur héros depuis les années 1960. Cette société cotée en Bourse le leur rend bien. Pour peaufiner les cascades de l’espion, elle n’a pas hésité à faire construire un espace de 5.000 mètres carrés baptisé The 007 Stage. Et elle ne lésine jamais sur les moyens quand il s’agit de son cher James. L’an dernier, elle a mobilisé pas moins de… 800 techniciens pour la seule simulation 
d’un accident dans le métro de Londres.

La petite boutique anglaise n’excelle pas seulement dans l’art du cinéma d’action, elle est aussi experte en «placement produit». Cette technique très bondienne consiste à organiser une sorte de troc avec une poignée d’entreprises triées sur le volet : en échange de la mise en avant de leur produit à l’écran, ces dernières s’engagent à faire la promotion du film à l’œil, dans leurs pubs. Et tout le monde est content. «C’est dans les gènes de James Bond, observe Jean-Patrick Flandé, le président de Film Media Consultant. Fleming faisait déjà porter une Rolex ou boire du Martini à son héros.» Pour son dernier épisode, EON a ainsi fait affaire avec Heineken (le brasseur a promis de miser au moins 33 millions dans ses spots à la gloire de JB), Sony (23 millions d’euros), Coca-Cola (la firme va lancer une ligne temporaire 007) et, à une échelle plus modeste, avec les montres Omega. Rien, par contre, au rayon automobile, où BMW et Ford régnaient de façon un peu trop encombrante dans les derniers épisodes. On nous promet cette fois le retour de la mythique Aston Martin DB5… sans contrepartie financière. Comme quoi, chez les James Bond boys, on ne pense pas toujours qu’à l’argent.

Sean Connery, toujours 
le mieux payé des Bond
1. Sean Connery (6 films) : 28,5 millions d’euros* pour « Les diamants sont éternels »
2. Pierce Brosnan (4 films) : 15,4 millions d’euros* pour « Meurs un autre jour »
3. Roger Moore (7 films) : 12,3 millions d’euros* pour « Dangereusement vôtre »
4. Daniel Craig (3 films) : 9,5 millions d’euros* pour « Skyfall »
* Total des cachets des comédiens, actualisés en euros 2012. Non cités : George Lazenby (1 film) et Timothy Dalton (2 films). 
Sources : Box Office Mojo, The Numbers.

Le plus grand carton 
de l’histoire du cinéma
1. « Shrek »
 (4 films) : 2,6 
milliards deuros*
2. « Pirates des Caraïbes »
 (4 films) : 3,1
 milliards d’euros*
3. « Harry Potter » 
(8 films) : 6,5 milliards d’euros*
4. « Star Wars »
 (6 films) : 6,7
milliards d’euros*
5. « James Bond » (22 films) : 9,8
milliards d’euros*
*Cumul des recettes en salle, en euros 2012. Sources : The Numbers, Box Office Mojo.Les budgets de 
tournage s’envolent

Les budgets de tournage s’envolent
1. « James Bond 
contre Dr. No » (1962) : 5,4 millions d’euros*
2. « Vivre et laisser mourir » (1973) : 27 millions d’euros*
3. « Rien que pour vos yeux » (1981) : 53 millions d’euros*
4. « GoldenEye » (1995) : 68 millions d’euros*
5. « Meurs un 
autre jour » (2002) : 136 millions d’euros*
6. « Skyfall » (2012) : 192 millions d’euros*
*Budgets de tournage, en euros 2012. Sources : Box Office Mojo, The Numbers.

 

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