Après 45 jours de tractations et de marchandages, le gouvernement de l’Etat d’Israël est enfin constitué in extremis. L’on ne peut que s’en réjouir. L’on imaginait mal, compte tenu de l’horizon de menaces qui affecte cet Etat, qu’un round de négociations s’ouvre à nouveau, avec un nouveau candidat au poste de premier Ministre. Pourtant nul ne peut se dissimuler que la majorité obtenue par Benjamin Netanyahou est la plus faible qui soit et que cela préjuge mal de la durée effective du nouveau gouvernement à la merci du basculement dans l’autre camp de deux ou trois voix à peine.

Que faut-il mettre en cause dans ces atermoiements et dans ces « deals » obtenus à l’arraché? Le système politique israélien dans son ensemble et notamment sa loi électorale qui permet à de petites formations, tout juste représentatives d’elles mêmes, d’exercer par leur position finalement charnière une influence disproportionnée, confinant parfois à une forme de chantage? Faut-il encore incriminer la psychologie et parfois l’amoralisme d’une classe politique dont la conquête et la conservation du pouvoir pour lui même semble la motivation la plus déterminante et la plus intransigeante? Faut-il ainsi en déduire que l’Etat d’Israël est vraiment devenu un Etat comme les autres et que l’approcher en termes idéalistes c’est désormais s’exposer à d’amères désillusions? Tout dépend de l’idée que l’on se forge d’une république et d’une démocratie. Le débat n’est pas nouveau.

Dans un article du Figaro daté du 25 avril 1895 Emile Zola mettait déjà ses lecteurs en garde contre l’idéalisation du régime républicain, contre l’illusion qu’il suffisait d’instaurer un régime de cette sorte pour provoquer un changement radical de la nature humaine et une mutation des passions parfois délétères qui l’animent. A les idéaliser outre mesure la République et la démocratie deviennent sources de profondes déceptions au risque de faire regretter les régimes autocratiques qui les avaient précédé. Pourtant cette analyse, naturaliste et réaliste, comme toute l’oeuvre de Zola, est-elle applicable à l’Etat d’Israël? Le rêve et le défi de tous ses fondateurs, quelle que fût leur attache idéologique, religieuse ou non, était précisément de ne pas en faire, de ce point de vue, un Etat comme les autres mais un Etat ayant tiré des vicissitudes du peuple juif en exil la leçon que ses valeurs étaient vitales et qu’elle devaient comme jamais s’incarner dans des institutions exemplaires et des conduites dignes des exhortations des prophètes bibliques

S’agissant de l’Etat d’Israël peut-on réellement s’accommoder d’une vue cynique et de son existence actuelle et par suite d’un souci intermittent de son avenir? Défendre le sionisme contre ses détracteurs extérieurs, et l’on sait à quel point ils sont virulents et acharnés, n’interdit pas de poser ces questions au sein même du peuple juif non pour juger des personnes mais pour vérifier sans cesse et en toute lucidité la nature de l’Etat en lequel tant d’espérances se sont investies depuis 1948 au moins. Depuis qu’il est apparu dans l’Histoire le peuple juif a toujours relié le droit, la politique et la morale, notamment celle du désintéressement. Sans respect de cette dernière, le droit se liquéfie et la politique redevient l’arène des gladiateurs s’entretuant devant César divinisé. Il est temps d’en prendre conscience pour traverser un siècle qui s’annonce, lui, impitoyable.

Raphaël Draï, Radio J, 11 mai 2015.

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