Palestiniens célébrant les 25 ans du Hamas. Crédits photo : AFP

Le gouvernement et d’autres instances sécuritaires ont décidé d’entériner un accord qui devrait permettre de récupérer 50 sur les 240 kidnappés du 7 octobre, accord renouvelable pour les autres 190 otages…

Selon leurs propres dires, ce fut une des décisions les plus difficiles de leur vie. Le Président Herzog, lui-même, n’a pas caché ses doutes. Le ministre de l’intérieur Ben Gvir a été le seul membre du gouvernement à s’y opposer, mais dans la société israélienne il est loin d’être le seul. L’analyste militaire du quotidien Yediot Aharonot, l’ancien chef du conseil de sécurité nationale, le général Giora Eiland, mais plus encore des familles d’otages et des familles de soldats, et bien d’autres refusent cet accord ou pour le moins s’interrogent.

Le double entretien de Daniel Haik – à regarder impérativement –  avec l’ex-ambassadeur Avi Pazner et avec le Professeur au Tekhnion, le rav Eliahou Zini (dont 80 % de sa Yechiva se trouvent sur le front en première ligne) nous plonge dans le cœur du dilemme[1].

Mon premier mouvement bien sûr a été d’accepter cet accord, avec le sentiment d’être piégé, donc sans enthousiasme. Mon second est d’affronter les doutes qui m’assaillent. Permettez-moi de les formuler, tout en espérant que quels que soient les scénarios, les kidnappés nous reviendront, saufs sinon sains. Ils pourraient tous être résumés par cette question : Israël sortira-t-elle renforcée ou affaiblie de cet accord ?

Les terroristes du Hamas faits prisonniers l’ont tous dit : on leur avait assigné 2 missions, tuer et prendre en otage le plus possible de Juifs. 1200 tués, 3000 blessés, et 240 otages, la mission a été accomplie au-delà de leurs espérances.

Pourquoi autant d’otages sinon pour se donner la possibilité de garder l’initiative, ou du moins d’empêcher une victoire militaire d’Israël et de rester un acteur politique ? Comment ? Par le chantage à l’assassinat de ces otages. Déjà, ont-ils affirmé sans doute pour faire monter les enchères, des otages auraient été tués… par des frappes de Tsahal.

Tous les terroristes faits prisonniers l’ont dit : les hôpitaux, les ambulances, les écoles, les immeubles d’habitation, les mosquées, ont été utilisés à des fins militaires. Les enquêteurs leur ont demandé pourquoi et les réponses ont été identiques, avec même un soupir d’agacement, comme si ce n’était pas évident : parce que nous savons que les Juifs ne vont pas tirer dessus.

Connaissant les normes de la moralité juive, et l’expérience du soldat Shalit échangé contre plus de 1000 terroristes dont plusieurs étaient extrêmement dangereux, (par exemple, l’actuel chef du Hamas Yahia Sinwar !), on peut donc facilement imaginer tout le profit que les chefs du Hamas entendent tirer de cette carte maîtresse :

  • Interrompre l’offensive de Tsahal qui, avec un minimum de pertes (mais quand même 70 soldats d’élite) a déjà détruit au moins le tiers du potentiel militaire ennemi.
  • Bien qu’affaibli, se permettre non seulement de neutraliser Tsahal, mais plus gravement encore de prendre possession de l’opinion publique israélienne, voir même de la diviser, alors que le massacre du 7 Octobre l’avait à nouveau réunifiée comme jamais auparavant.
  • En effet, une fois les 50 premiers otages libérés, le Hamas escompte bien qu’au-delà ce seront les Israéliens eux-mêmes qui exigeront de leur gouvernement, la prolongation de la trêve pour libérer les suivants. Et ce, sans que l’on sache qui est vivant et qui est mort parmi les kidnappés, puisqu’à ce jour la Croix Rouge n’a pu avoir accès aux otages, alors que le gouvernement, les USA, et d’autres pays aurait pu, dû, en faire une condition sine qua non avant tout accord : déjà deux corps de deux otages assassinés ont été retrouvés près de l’hôpital Shifa, de la jeune soldate Noa Marciano, et de Yehoudit Weiss, 65 ans.
  • L’accord à peine signé est déjà reporté, pour l’instant d’une journée, car le Hamas voulait y ajouter une nouvelle clause : que Tsahal évacue les hôpitaux !
  • Etant renouvelable, à raison de 10 otages libérés par jour, il y aurait donc un cessez le feu de plus de 3 semaines. Et alors qu’Israël s’est même engagé à ne pas utiliser de drones de renseignement durant la trêve, le Hamas en profitera pour se réorganiser, effacer les preuves de l’utilisation des boucliers humains, détruire les rushes des caméras de surveillance des édifices publics, rassembler ses forces, entreprendre une contre-offensive, et surtout convaincre le Hezbollah, fort de ses 100 000 hommes, de transformer son harcèlement actuel en guerre totale, avec bien sûr les encourage-ments de l’Iran. Nasrallah ne vient-il pas de recevoir deux hauts responsables du Hamas, Khalil al-Haya et Osama Hamdan ? Les bombardements du Hezbollah sur le Nord d’Israël n’ont-ils pas redoublé d’intensité ces deux derniers jours ? Cette stratégie de la ruse, pour transformer une faiblesse en force n’a-t-elle pas déjà eu un illustre prédécesseur, le prophète Mohammed en personne avec le Traité de Houdeïbya. Et si ce scénario infernal n’arrivait pas à se déclencher, le Hamas pourrait au moins compter sur les bonnes âmes européennes et de beaucoup d’autres pays, pour, au nom de ‘’l’humanitaire’’, empêcher Tsahal d’arriver à son objectif déclaré dès le début : détruire l’appareil politique et militaire du Hamas.

Or nous savons que l’objectif, lui aussi déclaré, du Hamas n’est pas de protéger la population gazaouie puisque cette dernière a été utilisée comme bouclier humain et dans de nombreux cas avec son consentement, mais de provoquer « d’autres 7 octobre », et au final de détruire Israël. Et si l’on ne peut douter un seul instant de ses intentions, ni de la stratégie qui est la sienne actuellement et que nous venons de résumer, il est urgentissime de se demander de quoi le Hamas a le plus besoin aujourd’hui pour la mener à bien ? DE TEMPS.

Du temps pour reprendre la main et reprendre l’initiative à Tsahal. Et après avoir réussi à dicter son calendrier à Israël, il en fera de même avec la « communauté internationale » qui déjà veut imposer un « cessez-le feu », donc maintenir la nuisance islamiste aux portes d’Israël, et ce pour diverses raisons, soit géostratégiques, soit pour continuer d’avoir accès au pétrole arabe, alors que la source russe s’est tarie, soit pour « calmer la rue arabe » qui en Europe déferle par centaines de milliers, etc, etc…

Tenant compte de cette situation complexe, la question qui se pose à Israël, est très simple : faut-il donner ou non ce TEMPS à notre pire ennemi qui au moment même où j’écris est en train d’imaginer comment sortir du bourbier, éviter la débâcle, conserver les forces encore indemnes qui lui restent, et réattaquer Israël avec d’autres alliés, dans les jours qui viennent si possible.

Et puisque le Hamas nous pousse vers ce sordide calcul, si une vie en vaut une autre, et celle d’un otage celle d’un soldat d’élite, où serait la morale juive lorsque pour libérer 240 personnes (ce qui au demeurant est loin d’être évident) nous devrions mettre en péril au plus l’Etat d’Israël et au moins des centaines, peut-être des milliers si d’autres forces entraient en guerre, de soldats tués, blessés et souvent grièvement pour la vie handicapés?

Ce TEMPS que nous lui accorderons, à combien le paierons-nous ? N’est-ce pas la question que nous posent les familles d’otages et les familles de soldats, qui refusent cet accord concocté par le Qatar, l’Egypte et les USA ?

Enfin, nous tous, Tsahal en premier, qui désirons, qui rêvons chaque nuit, chaque jour le retour de TOUS LES KIDNAPPES, ne devons-nous pas nous demander s’il n’y avait pas une autre voie, moins coûteuse, et même potentiellement plus sûre ?

D’abord exiger une preuve de vie pour tous les 240 (?) détenus . Car tant que l’on ne saura pas qui est vraiment vivant, le Hamas tirera profit de l’incertitude, toujours avec le même objectif : gagner du temps. Les USA et l’Europe ne sont-ils pas à même au nom de leur ‘’humanisme’’ de forcer la Croix Rouge à jouer enfin son rôle pour identifier les otages et aussi pour les soigner ?

Le chancelier fédéral allemand Olaf Scholz a exigé du Hamas qu’il libère immédiatement et sans conditions tous les otages. Le gouvernement israélien n’était-il pas en mesure de demander à toutes les nations civilisées d’en faire autant ? La Knesset n’était-elle pas en mesure de s’adresser pareillement à tous les Parlements de ces mêmes pays civilisés ? Cette exigence accompagnée de la menace de verrouiller les comptes du Hamas et de tous les pays qui auraient la velléité de lui venir en aide, n’aurait-elle pas été plus efficace que la stratégie en cours ?

Le Hamas, qui rappelons-le n’existe pas seulement à Gaza, mais aussi en Judée Samarie, où il est d’ailleurs majoritaire, et qui espère toujours conserver dans le monde la légitimité « d’un mouvement de libération » ou de « résistance face à un occupant », le Hamas donc au risque de ne plus être du tout « fréquentable » même de ses amis ou protecteurs, aurait-il pu se permettre d’assassiner les 240 otages, c’est-à-dire récidiver en l’espace d’un mois et demi, et commettre un crime contre l’humanité aussi monstrueux que celui du 7 Octobre ?

J’en doute fort, car même dans la monstruosité, il y a des limites, quand on prétend au titre de gloire de « résistants ».

Et au moins cette stratégie aurait laissé à Tsahal l’initiative et le TEMPS nécessaire pour faire capituler le Hamas à Gaza et libérer les otages.

Et le prix à payer pour Israël, aurait été moindre.
Du moins c’est ce que je crois.

Tel Aviv, le 23 Novembre 2023

Jean-Pierre Lledo

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[1] Entretien de Daniel Haïk avec Avi Pazner (0 à 18’20), puis avec le Rav Eliahou Zini (25’11 à la fin) https://youtu.be/VhDGwYUXRu4